Chris Costantini est un homme multiple. S’il se présente aujourd’hui comme conseil en intelligence commerciale, coach-corrélateur dans l’ouverture des consciences, écrivain et jazzman, il fut aussi ingénieur agronome et chef d’entreprise. Tout cela en plus d’être un peu pilote de ligne et surtout baroudeur. Une carte de visite riche, à l’image de son parcours, qui lui permet de faire rimer multiplicité avec unicité. Rencontre avec un entrepreneur au verbe musical, un Krishna passionné et passionnant.
Chris Costantini : un nom, plusieurs profils. Lesquels sont-ils ?
Je suis à la fois conseil en intelligence commerciale et coach corrélateur, en parallèle des activités musicales et littéraires que je mène à mes heures perdues.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Je suis ingénieur agronome de formation. Ma sensibilité pour l’environnement et ma volonté de donner une seconde vie à des paysages laissés à l’abandon m’ont conduit à créer Athem, société spécialisée dans la scénographie urbaine et devenue leader en Europe du très (très) grand format de publicité.
Tout au long de mon parcours d’entrepreneur, j’ai commis beaucoup d’erreurs. Et c’est normal ; rester constamment lucide lorsque l’on est totalement impliqué dans quelque chose est très complexe. J’ai donc décidé de me former au coaching, via des cursus spécialisés à l’ESSEC et à HEC, dans le but de transmettre efficacement mon expérience.
Aujourd’hui, à l’aune de mon parcours, je conseille et coache des PME et des grands groupes sur l’organisation et le développement.
Comment définiriez vous votre approche de coach ?
“Coach” est un terme très galvaudé. Le coaching tel que je l’envisage, c’est de pouvoir faire prendre conscience à un dirigeant que son histoire personnelle est étroitement liée au chemin que va suivre la création et le développement de son activité. S’il arrive à comprendre dès le départ pourquoi et vers quoi il s’engage, il peut s’éviter bien des écueils.
Si mon expertise professionnelle concerne le développement commercial, mon regard de coach se porte davantage sur l’aspect organisationnel. Voilà pourquoi je me présente comme coach corrélateur : j’établis à la fois des liens entre mon expertise et mon rôle de coach, ainsi qu’entre le parcours personnel et professionnel de mes clients.
En résumé, je dirais que mon approche est avant tout profondément humaine. J’aime les gens, voilà pourquoi je joue du jazz, voilà pourquoi j’écris des polars : je rencontre, je partage, j’apprends et je transmets.
Le coach tel que vous le décrivez ressemble un peu à un psychanalyste, non ?
Je suis en effet comme un psy pour entrepreneurs ! Je privilégie l’échange, je ne suis pas là pour répandre une parole immuable. Mon objectif est de pouvoir dire les choses directement : je mets en garde, je suggère et j’oriente, en laissant toujours le choix à mon interlocuteur. “Si j’avais été à votre place, eut égard à l’expérience que j’ai accumulé, voilà comment je m’y prendrais” : c’est la sémantique que j’utilise.
Quel serait votre premier conseil pour un entrepreneur qui se lance ?
Au commencement était le Verbe ! Ce n’est pas l’écrivain qui parle : je m’exprime comme entrepreneur.
Avant de se lancer, il est important d’écrire. Son projet de vie dans un premier temps : qu’est-ce que je veux faire ? Pour aller où ? Pour obtenir quoi ? À quoi suis-je ou ne suis-je pas prêt à renoncer ? Quelle est ma philosophie ?
Écrire son projet d’entreprise également : qu’est-ce que je vends ? Quelles sont les caractéristiques de mon produit ? A qui s’adresse-t-il ? Quelle est son histoire, sa valeur ajoutée ?
Une fois ces deux grands points figés dans le marbre, il est nécessaire de les comparer avec ceux de son ou ses associés. Développer un projet, c’est comme naviguer : il y a un cap à suivre. Il est donc nécessaire de bien connaître sa trajectoire. Bien souvent, la réalité implique des modifications de cette trajectoire initiale : ce n’est pas un problème tant que la destination reste en ligne de mire. D’où l’importance capitale de connaître précisément son point d’arrivée au moment de lever les voiles.
Quel regard portez-vous sur les jeunes entrepreneurs ?
J’ai été un jeune entrepreneur – il y a longtemps, certes – mais je peux en parler ! Jeune, on est chargé d’ambitions : on ne veut pas s’imposer de limites et on veut être le roi du monde. Et rapidement si possible ! La notion de “puissance” est importante : puissance du futur entrepreneur, puissance du futur cadre… C’est d’ailleurs une notion avec laquelle on est souvent mal à l’aise.
Mon travail consiste à révéler les aspects de cette puissance ; en la cadrant et l’orientant dans la bonne direction. Il est nécessaire d’en connaître les limites, cela permet d’éviter un grand nombre d’erreurs : c’est l’apprentissage de l’humilité. Dans mon parcours professionnel, je n’ai été que très rarement sensibilisé à ces réflexions. Voilà pourquoi je souhaite aujourd’hui transmettre et accompagner de jeunes entrepreneurs sur ce point précis.
Comment expliquez-vous ce manque de sensibilisation à une thématique qui semble aussi fondamentale ?
Je pense que la plupart des formations spécialisées entretiennent la notion de toute-puissance. J’irais même plus loin en affirmant que c’est une caractéristique très française. Notre histoire et notre culture nous font parfois croire à tort que nous sommes supérieurs. Je l’ai beaucoup constaté au fil de mes voyages et de mes expériences professionnelles interculturelles. Très logiquement, cette approche engendre des désillusions qui peuvent parfois être très violentes. Une mauvaise appréciation de son réel potentiel peut affecter profondément et durablement un projet : s’il est mal déterminé, c’est le projet de vie qui en pâtit. D’où l’importance de construire sur des bases solides.
En matière humaine, je suis persuadé que l’humilité et la connaissance de soi constituent des bases solides. Mais cette quête est longue, et dépasse le cadre de l’aventure entreprenariale. Le parcours ne pourra jamais être parfait ; peu importe, il faut se laisser le temps d’expérimenter et d’apprendre.
C’est un peu la morale de la fable du Lièvre et de la Tortue ?
C’est tout à fait ça ! J’ai démarré mon activité rue Montcalm, dans le 18ème. Dans le projet d’entreprise, nous nous sommes dit que nous deviendrions d’abord champions du monde du 18ème ! Puis que nous serions ensuite champions du monde du 17ème, du 9ème et du 19ème ! Il ne sert à rien de faire des voyages à l’autre bout de la France ou à l’autre bout du monde : mieux vaut commencer au niveau local, puis se développer concentriquement. Lorsque je vends mes polars, c’est comme ça que je procède : je commence par les librairies autour de chez moi et je termine à Toulon ! Et à ce rythme, oui, on peut faire le tour du monde. Pourquoi aller chercher à l’autre bout du globe, au risque de s’essoufler, alors que les marchés sont tout autour de nous !
Comment concilier à la fois l’humilité et la mise en scène de soi que nécessite la commercialisation de ses compétences ou de ses produits ?
Comme je le disais, l’important est de se connaître avant tout, et de savoir que seul le travail sera payant. Il ne s’agit pas de se dire : “je suis diplômé, je suis le meilleur et tout le monde devrait le savoir”. Se vendre, c’est regarder une personne et apprendre à se mettre à sa place.
Voici un exemple typique : sur la plupart des CVs que je reçois, les candidats se mettent en scène en expliquant ce qu’ils savent faire et comment l’entreprise pourrait leur apporter quelque chose. Mais la question fondamentale, c’est de savoir ce que JE peux apporter à l’entreprise, compte tenu de ce que je suis, de mon parcours et de ma vision du monde. C’est bien ça qui fait la saveur particulière de quelqu’un, sa véritable valeur ajoutée. Partagez ce que VOUS êtes, sans jamais vous sous-estimer. Racontez votre histoire, et apprenez à vous connaître ; car se connaître, c’est connaître l’autre.
L’humilité réside donc dans l’empathie ?
Oui, car l’empathie permet de développer beaucoup de bons réflexes.
Comme observer plutôt que de regarder. Je parle ici de l’observation au sens du philosophe François Julien : l’oeil voit des milliards de choses que le cerveau n’enregistre pas. Lorsque l’on commence à entraîner son cerveau à analyser tout ce que l’oeil permet de voir, alors on observe. En arrivant dans le bureau de quelqu’un, rien qu’en observant, on peut en apprendre beaucoup. Est-il sportif ? Aime-t-il l’art ? Quels sont ses goûts, quel est son univers ? A-t-il accroché ses diplômes ? Une photo de famille ? L’observation est fondamentale car elle permet de mieux connaître son interlocuteur et par conséquent de nouer des relations plus solides.
Bien entendu, construire une relation implique de parler de soi ; mais de toujours de manière humble, en favorisant l’échange et non la représentation. Peu importe que vous soyez là pour vendre quelque chose, il faut savoir garder une posture apprenante. Il s’agit de créer sa réalité et d’inventer le paysage dans lequel elle pourra vivre.
L’écriture est-elle justement un moyen de créer vos propres paysages ?
Oui, elle fût un début de catharsis. Mon héros est un peu un double de ce que je suis, mon écriture revêt de ce fait un costume assez introspectif.
Dans mes travaux de coaching, j’utilise d’ailleurs des techniques narratives. Mes clients créent un double fictif avec lequel ils peuvent discuter et échanger, beaucoup plus librement qu’avec eux-mêmes. On en revient à la dimension psychanalytique de mon travail. J’aide mes clients à s’ancrer dans leur réalité : une fois ancrés, il ne peut plus rien leur arriver. Savoir ce que l’on vaut est fondamental, car on sait comment et combien l’on va se vendre.
Inutile de se dévaloriser, il faut s’aimer avant tout ! Vous devez être la personne la plus importante pour vous ! Nous fonctionnons comme des instruments de musique, nous devons être accordés pour nous exprimer au mieux. Et l’on s’accorde en utilisant nos sens, nos perceptions, nos intuitions et nos instincts.
Le jazz, par la grande place qu’il laisse à l’improvisation, est une musique de l’instinct. Est-ce ce qui vous attire dans cette musique ?
Je suis très influencé par Thelonius Monk et John Coltrane, qui concevaient leur musique comme une véritable quête spirituelle. Cette approche musicale introspective et parfois mystique trouve un profond écho en moi. Musique, écriture, tout est lié. Littérairement parlant, j’aime beaucoup William Boyd et son humour corrosif, ainsi que Dashiel Hamett ou encore Michael Connelly. Je me suis également imbibé de la philosophie jungienne. Lire de tels penseurs constitue un premier pas vers l’apprentissage de l’humilité.
Sur votre site, vous vous décrivez comme un baroudeur. Faites-vous rimer baroudeur avec entrepreneur ? Ou est-ce davantage sur le plan personnel ?
Les deux ! D’un point de vue personnel d’abord car j’ai beaucoup voyagé. Je suis né en Afrique et j’ai vécu 13 ans au Mali. Les africains m’ont beaucoup appris, par leur sagesse et leur manière d’accueillir les événements que charrie la vie. L’Afrique est pour moi un véritable mur porteur. En tant qu’écrivain, j’ai souvent baroudé. Comme lorsque j’ai vécu caché dans un Yémen en guerre pour écrire mon troisième polar qui s’y déroule.
Sur le plan professionnel, il y a en effet un rapprochement à faire avec la figure de l’entrepreneur : c’est partir à l’aventure. Exactement comme en amour : il faut se lancer, peu importe le contexte ! Dans le pire des cas, on échoue. Et alors ? Il n’y a qu’à réessayer, ça rend la vie bien plus savoureuse. C’est ça le sens que je donne au baroud : être tout terrain, comprendre son environnement et s’y adapter. Vivre avec les pieds ancrés dans la terre et en apprécier les couleurs et les saveurs.
Toujours sur votre site, vous indiquez que vous auriez aimé être pilote de ligne. Ne l’êtes vous pas devenu un peu malgré tout ?
Je n’y avais jamais pensé, mais oui en effet c’est un peu ça ! Beaucoup de destinations, des moments planants, peut-être même un peu perchés ! De temps en temps dans le contrôle, de temps en temps dans la toute puissance. Avec une vocation pour accompagner les gens en les aidant à atteindre leur destination. La question est : vais-je où je ne rêve de ne jamais aller, ou vais-je vers où je rêve d’aller ?
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